On pille, on détruit, on pollue les océans, et c’est la mort des poissons. Les scientifiques et les ONG ont peur. Les uns publient livres et études, les autres tentent d’intercepter les navires-usines… Tous proposent des solutions pour sauver ce bien commun de l’humanité.
«Une mer sans poissons » est le titre anxiogène d’un livre (également disponible en format numérique) coécrit par Philippe Cury, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement, à Marseille, et le journaliste Yves Miserey. Les deux auteurs démontrent précisément que la pêche contemporaine est prédatrice. Et avec l’amélioration des moyens technologiques, on est passé de l’exploitation à la surexploitation des océans, dont les trois quarts sont dans une situation critique.
En mer du Nord, 88 % des ressources marines subissent une pression trop forte. En 50 ans, les prises ont été multipliées par 5 : on est ainsi passé de 20 à 100 millions de tonnes annuelles. Philippe Cury parle de « véritable razzia ». On pêche trop mais aussi des espèces en voie de disparition, comme l’esturgeon, le grenadier, le requin. « Ça ne vous viendrait pas à l’esprit de manger du panda ? » lance-t-il, provocateur.
La pêche de l’empereur en eaux profondes, commencée au début des années 90, a été interdite en 2010. Extinction commerciale de l’espèce en 20 ans ! Claire Nouvian a créé l’association Bloom fin 2004. Elle milite contre la pêche en eaux profondes. La langue de bois, elle ne connaît pas. Elle lit toutes les études, voyage entre l’Asie, l’Europe et les Etats-Unis pour dénoncer « un océanocide ».
Sur la page d’accueil de son site, www.bloomassociation.org, une image : un nuage nucléaire en forme de champignon sous l’eau et à la surface, un énorme chalutier avec cette phrase : « La pêche en eaux profondes est une arme de destruction massive. » Sans compter que les poissons sont particulièrement pollués, bourrés de métaux lourds. L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) déconseille leur consommation aux enfants de moins de 30 mois. Si c’est dangereux à 2 ans et demi, pourquoi pas à 3 ? C’est pourtant ce qu’on retrouve dans les assiettes des cantines : du hoki de Nouvelle-Zélande, à une époque où, soit dit en passant, il est de bon ton de respecter des cycles courts.
De même, la saumonette entre dans la composition de nombreux plats cuisinés. Un joli nom pour ce qui est en fait du requin, vendu également sous l’appellation « veau de mer » ! François Chartier, chargé de campagne Océans pour Greenpeace France, est pessimiste. « La taille des poissons a fortement diminué. On prélève beaucoup trop de juvéniles ou de reproducteurs. Et de conclure : le portrait est noir, la situation des océans est inquiétante. »
Ça ne sort pourtant pas d’un film de science-fiction mais d’un livre d’histoire. Le drame a déjà eu lieu au Sénégal avec le « thiof » (grand mérou), comme le rappelle Philippe Cury, ou à Terre-Neuve avec l’effondrement de la population de morues (encore appelé cabillaud), une des plus graves crises halieutiques du XXème siècle. L’interruption de cette pêche dans les années 90 a eu des impacts socio-économiques très larges, notamment le chômage de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Malgré le moratoire sur la pêche, les morues ne sont pas revenues. Pourtant, « la mer est très patiente avec nous », affirme Daniel Pauly, professeur à l’université de Colombie-Britannique, à Vancouver, considéré comme un des plus grands spécialistes au monde des pêches. Que se passe-t-il donc à Terre-Neuve avec les morues ? L’homme a tout simplement modifié l’écosystème. Il est occupé à présent par d’autres espèces, notamment les harengs qui mangent les larves de morue !
Et la démesure ne s’arrête pas pour autant : en 2008 la société hongkongaise Pacific Andes a investi 100 millions de dollars dans un ancien navire-citerne, aussi long que deux terrains de football et muni d’une flotte de chalutiers qui pêchent en aspirant les poissons. L’espèce concernée : le chinchard, destiné à être transformé en farine. Même réalité pour la pêche au krill en Antarctique – cette petite crevette est la nourriture des baleines mais, réduite en farine, c’est aussi celle des poissons d’élevage.
Daniel Pauly renchérit avec l’humour qui le caractérise et ce malgré la gravité de la situation : « On agit avec les océans comme un vieux qui déciderait de prendre tout son argent et de le dépenser en une nuit à Las Vegas au lieu de le placer à la banque et de vivre des bénéfices. Si on laisse un stock de poissons tranquille, il augmente. Il faudrait ne pêcher que le surplus, les bénéfices en quelque sorte, sans toucher au capital. » Cela suppose une forte volonté politique pour faire respecter les quotas produits par les scientifiques. Or, avant que des ONG comme Greenpeace ne s’en mêlent, les scientifiques recommandaient de ne pas dépasser 15 000 tonnes de thon rouge. Les politiques ont alors placé la barre à 30 000, par peur de mouvements sociaux. Avec les prises illégales, parce que les autorités a fermé les yeux, on est arrivé à un chiffre avoisinant les 60 000.
Autre problème politique complètement tabou : les subventions. Les professionnels ont extorqué des sommes ahurissantes à l’Etat français. Ils empêchent tout débat sur la question. Or, c’est l’argent du contribuable. Quand le prix du gazole grimpe, si les subventions ne sont pas augmentées, les pêcheurs bloquent les ports. Plutôt que d’utiliser les subventions pour soutenir la pêche de stocks épuisés, on ferait mieux de les employer à inciter les pêcheurs à partir à la retraite.
En France, l’association Bloom dont je vous parlais plus haut dénonce également ces subventions qui aident à renouveler les flottes de pêche industrielle et à augmenter la capacité des grands chalutiers. Sans les subventions, pas de pêche. Le rapport dépenses-recettes est déficitaire, ne serait-ce qu’au regard des énormes consommations de gazole que suppose la sortie en mer de ces vaisseaux de plusieurs dizaines de mètres, qui brûlent 7 000 litres de carburant par jour contre 30 à 100 litres pour un petit bateau !
Si comme moi vous aimez le poisson et que vous désirez « manger intelligent », allez donc faire un tour sur le site Internet mrgoodfish.com qui réactualise tous les mois les espèces qu’on peut consommer sans mauvaise conscience. Un article particulièrement intéressant d’Emmanuelle Jary est à lire dans le dernier numéro de Paris Match et intitulé « La Mer Épuisée ».
UNE MER SANS POISSONS
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